Je lisais hier soir un article sur Yves Klein dans le dernier numéro d'Arts Magazine. Je ne suis pas encore allée voir l'exposition, mais l'article m'a permis de mieux connaître cet artiste terrassé à 38 ans par une crise cardiaque au début des années 1960. Cette lecture m'a donné envie d'aller voir l'expo qui lui est consacrée à Beaubourg. J'avoue n'avoir été que moyennement emballée par cette rétrospective de prime abord, craignant pouvoir n'y admirer que des carrés bleus placardés aux murs et, clou du spectacle, dans le meilleur des cas, ces sortes d'immenses caryotypes remplis de chromosomes bleus "IKB", témoignage de l'une des premières "performances" de l'art contemporain. Vous connaissez, même sans vous être rendus à Beaubourg, ces grands chromosomes stylisés, qui sont en réalité l'empreinte de corps de femmes nues et enduites de peinture, venues se plaquer contre la toile immaculée. Il s'agit de la série dite "Anthropométrie de l'époque bleu". Dans mon esprit, lecture faite de cet article, l'artiste reste un éminent provocateur, mais n'est-ce pas l'audace que l'on aime chez un artiste, à condition que le talent s'y adjoigne ?! Ne connaissant bien ni son oeuvre, ni som ambition ni l'explication qu'il donnait à ses recherches et à ses créations, je n'avais aucun avis sur son talent, l'héritage qu'il a laissé derrière lui ou sa contribution à l'art actuel.
Sous le provocateur point le dandy mais également le mystique. Etre dandy, pour moi, c'est une attitude, une séduction à la fois innée et très construite, une élégance sophistiquée, parfois iconoclaste mais jamais vulgaire ; c'est l'homme érigeant les femmes en réalisatrices de l'oeuvre qu'il a pensée, et leur corps en pinceau. Cette idée lui est venue au Japon, à l'époque où il a décroché (en 1953) sa ceinture noire, 4eme dan, de judo. La trace moite des corps transpirant sur le tatami. Il utilise ce souvenir pour peindre (ou faire peindre) ces corps quasi célestes, sans attaches, comme flottant sur la toile.
Klein, parallèlement au dandy, c'est également le mystique, le contemplatif, l'homme désireux de rendre dans sa création ce qui est invisible, immatériel, la "pure sensibilité". Belle gageure, pleine de panache, un peu ubuesque sans doute, que d'entreprendre de représenter ce qui, par essence, est intangible. Comment la matière peut-elle incarner ce qui est exclusivement conceptuel ? Evoquer, oui, mais représenter ? Les mauvaises langues, cartésiennes, apparenteront facilement cette ambition aux vains combats de Don Quichotte... Ce genre de défi, audacieux donc passionnant, qui interdit le dilettantisme dans la création dès lors qu'il est formulé, exige un investissement forcément total, intellectuel, esthétique et moral, sans quoi le propos, arrogant, ridicule et vain, discrédite son auteur. Klein s'est donc donné les moyens de ses ambitions. Je ne me prononcerai pas sur le bilan, le fait qu'il ait atteint ou non son objectif. Mais l'investissement sincère et total pour une cause, si dérisoire ou prétentieuse soit-elle, lui confère déjà une légitimité. Dès lors qu'on se bat pour une idée, celle-ci devient légitime, au moins parce que quelqu'un la considère comme telle et s'emploie à sa réalisation.
Je l'imagine donc fidèle à son propos et à son projet, toujours porteur d'un humour et d'une insolence en qui ses détracteurs n'ont vu que de la provocation. Il ira jusqu'à vendre du vide, qu'il appelle scientifiquement des "zones de sensibilité picturale immatérielle", en échange de quelques grammes de poudre d'or qu'il s'engage en contrepartie à rejeter dans la nature, faisant mine de ne considérer cet ancien étalon financier sous l'unique prisme du matériau minéral qu'il est par ailleurs. Pragmatique et trivial, donc ! Les années suivantes, il s'attache à entourer son bleu des deux autres couleurs primaires, le jaune étant représenté par des feuilles d'or (tiens, tiens, avait-il vraiment disséminé l'or qu'il avait reçu de ses visiteurs ?!). Il crée ainsi sa propre "Trinité", et dédie à Sainte Rita, patronne des causes désespérées une boîte tricolore (rose, bleu IKB et or) qu'il offre en ex voto et dépose dans un monastère d'Ombrie, au pied d'une statue de la sainte.
L'art conceptuel, où l'intention compte plus que sa représentation, et la performance, où le moment de la création, et parfois la création elle même est un événement à proprement parler, lui doivent beaucoup.
Provocation, humour et audace, sur fond de quête spirituelle affichée. Retrouver la couleur du ciel et la profondeur de l'océan.
Cet article tout en bleu m'a ouvert des perspectives, et je crois bien que Klein en serait ravi ;-)
C'est peut-être bien l'envie de me rapprocher des éléments, comme il le fit avec des toiles exposées à la pluie, au vent où à la caresse des herbes, qui me fait pousser des ailes et des écailles... M'approcher du bleu du ciel en me remettant à l'escalade ou des univers bleutés des abysses en dépassant le stade du baptême de plongée qui remonte à mes premières vacances insulaires et fort exotiques à l'Ile d'Yeu ! Ben oui, tout ça date un peu... Où est passé la grande aventurière que je fus entre 10 et 15 ans ?!! Celle qui escaladait, plongeait, escaladait en cordée, piolets en main, des glaciers au lever du soleil avec ses frères ?
La plongée et l'escalade donc, mes nouvelles envies. Peut-être ces envies remontent-elles en partie avec ce besoin, profond en ce moment, de percer la surface des choses. J'ai envie de me donner les moyens de changer de regard, de prendre de la hauteur ou de plonger... de me mettre un peu plus en danger pour ne pas réaliser trop tard que je me suis laisser asphyxier par le respect d'une image projetée, un jeu d'apparences que j'ai plus ou moins sciemment créées, une déférence inutile pour ce que l'on juge raisonnable. Des peurs aussi, des renoncements. J'aimerais donc modifier ma perception de la pesanteur. Ne plus craindre d'aller au fond des choses, au delà des surfaces lisses, au devant de ce qui n'est pas visible à hauteur d'yeux. Oser prendre le risque de se perdre un peu dans ces mondes silencieux ou nos mouvements n'ont plus le même rythme et où les grandes gesticulations deviennent inutiles. Prendre de la hauteur, aussi, puisque j'adore choisir mes prises et redécouvrir comment le corps peut tenir en appui sur une minuscule anfractuosité, comment en osant, on redécouvre les fondements de l'équilibre...
Et enfin, prendre plaisir à se jeter dans le vide à condition de s'être bien assuré de la fiabilité des outils et de ceux dont on s'entoure. Non parce que je ne suis pas non plus kamikaze, hein ?
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