J'ai lu dans le Télérama du 13 au 19 janvier 2007 une interview d'un écrivain, dont le nom et l'oeuvre, j'avoue, m'étaient inconnus : Christian Gailly. Je ne m'appesantirai pas sur sa bio, ni sur le contenu de l'interview, juste sur une phrase, d'ailleurs en exergue de l'article :
"Les choses à écrire ne sont pas forcément celles qu'on a à dire."
Surtout, je me méfie de ce qu'il pourrait y avoir de pompeux, poseur, vaniteux ou fat de ma part dans ces petits commentaires pseudo philosophiques à deux euros, mais de lire ça m'a rassurée. Chacun d'entre nous écrit un peu, j'imagine, pour soi-même la plupart du temps, pour faire le point, s'essayer à un exercice de style, mettre des mots sur un sentiment, un souvenir, un rêve, un projet, une impression ou encore une sensation...
Ma question, la voici : combien d'entre nous peuvent affirmer sans ciller que jamais, alors que se bousculaient dans leur esprit les mots, poussés par le besoin d'exprimer un état, ils ne se sont heurtés à la confusion de l'esprit, à l'incapacité de formuler précisément ou de manière claire et satisfaisante leur sentiment tel qu'ils avaient projeté de le faire ? Combien de bégaiements, ou dans le meilleur des cas de détours, de périphrases, d'images et d'anecdotes pour formuler l'essentiel ? Pour toucher l'idée, le propos...
" Je croyais avoir des choses à dire mais je n'y parvenais pas. (...) Je me suis vraiment forcé. Et je me suis aperçu que dans le cadre des contraintes qu'impose la fiction, je trouvais une vraie liberté de parler de moi, de mes angoisses, de mes hantises. Ce n'est qu'en parlant d'autre chose qu'on dit ce qui importe vraiment."
Parfois, on ouvre son carnet Moleskine ou une page word avec le besoin ou l'envie de parler de quelque chose, et ce qu'on écrit n'a rien à voir. On se demande même parfois comment on a pu en arriver là, et si ce qu'on découvre en se relisant est le reflet de ce qu'on a, bien caché, dans sa tête. Expérience assez étrange parfois, dérangeante, l'impression que "je" est définitivement un autre. Un double à la vie troublante, dissolue, rafraîchissante, morose ou débridée, un double un peu dérangé qui nous ramène à cette étrangeté, à l'ubiquité de soi. Souvent ailleurs alors qu'on pensait être là, assis, dans un cadre bien connu, avec des repères rassurants.. Non, notre double se meut, nous surprend et nous émeut.
J'aimerais bien imaginer ce que pourrait être une journée, allez, au hasard un 16 janvier, où chacun de nous laisserait s'exprimer son double. Nos personnalités visibles s'effaceraient élégamment et sans un bruit pour laisser place à nos doubles "écrivants", à ces personnalités polymorphes et imprévisibles qui s'expriment quand on leur tend un stylo. Mais je crains, à bien y réfléchir que cette journée serait assez déraisonnable, si tous nos petits grains de folie devaient se rencontrer. Peut-être bien la fin du contrat social, la fin de toute morale, la fin de la raison, la fin des haricots en quelque sorte.
Mais peut-être est-il bien facile d'imputer notre part d'ombre à ce double, de refuser d'assumer simplement que ce double n'est pas seulement en nous, que ce double EST aussi nous. Double voire triple ou quadruple, mais ce qui est certain, pour paraphraser mon amie Laurence, c'est que "nous ne sommes pas tout seuls dans nos têtes" ! J'ai beau me sentir relativement saine d'esprit et cartésienne autant que possible, j'assume la paternité (moi qui ai toujours rêvé d'être père !!) de mes pensées et de celles qui affleurent quand je tends la plume à mon ombre, qu'elle soit inquiète ou euphorique, ratatinée et tassée comme sous le zénith ou émancipée et expansive comme au crépuscule...
Je referme la petite boîte et laisse les lettres du clavier reprendre leur agencement initial, azertyuiop regagner ses pénates entre les flèches et le trema. Qui a dit qu'Ernestine n'aimait pas l'ordre ?! Ce serait bien mal me connaître... ;-)