La relation à l'écriture, comme à la foi et à toutes les activités qui recquièrent un investissement de l'esprit et de la conscience, un voyage intérieur dans le grand shaker de nos expériences et de nos contradictions, est souvent tumultueuse, parfois culpabilisante. Du moins pour moi... J'ai parfois le sentiment que ce que j'écris n'est pas ce que j'avais projeté d'écrire. Est-ce normal ? Toujours est-il que, selon mon humeur du moment, l'inquiétude ou la légèreté que m'inspire le ciel accroché à ma fenêtre, mes textes sont plus ou moins primesautiers, absurdes, cocasses, optimistes, désabusés, impertinents ou légèrement frivoles. Parfois l'écriture naît d'un besoin, d'autres fois d'une envie, parfois de la décision de se livrer à un exercice de style.
Mes textes rimés n'ont pas la prétention de s'introduire par effraction dans l'univers, ô combien feutré voire calfeutré à en croire les tenants des canons classiques, de la poésie. Ils sont plutôt des instantanés, des mots que j'ai pris plaisir à assortir ou à dépareiller, souvent pour le plaisir des sonorités, parfois avec l'idée d'une musique en arrière plan, un air de Gainsbourg, de Brassens, ou pourquoi pas du truculent Bobby la Pointe. A se demander parfois si je ne suis pas un peu macho ou misogyne. La réponse, je crois, serait négative, mais j'aime bien l'idée de la provocation souriante...
Je me demande si je suis plutôt un homme ou une femme lorsque j'écris pour moi. Sur certains textes, je ne peux pas vraiment me prononcer ; sur d'autres, qui parlent de sentiments par exemple, la réponse est plus évidente, quoique. Le sexe dans l'écriture est sans doute un marronnier, en tout cas un sujet facile et tentant, bien qu'il y ait sans doute encore mille choses à en dire qui n'ont pas été dites, et au fond, je m'en fiche un peu : le sexe de l'écrivain, a priori ne pose pas de problème d'une point de vue physiologique, n'entrons pas dans les détails... Mais le sexe de l'écriture ? Le poignet de l'homme peut-il se faire gracieux lorsqu'il veut parler d'amour ou de sentiments au féminin ? Et d'abord, est-ce que beaucoup d'hommes se posent la question de l'intérêt que pourrait avoir pour eux cet exercice ? Les doigts d'une femme écrivant les pensées d'un homme peuvent-ils s'épaissir l'espace d'un instant, sa paume devenir plus calleuse et sa poigne ferme ? La main comme outil reflétant l'état d'esprit, le rendant lisible pour autrui.
Probalement, en dépit des tentatives, un écrivain mâle se glissant dans la peau de son personnage féminin restera-t-il toujours à sa place d'homme. Le fossé du genre dans la pensée est sans doute infranchissable. Les tentatives d'incursions dans l'univers psychologique de l'autre sexe sont sans doute séduisantes, mais je pense que l'acuité de la perception est forcément brouillée ou limitée. Nous sommes, hommes et femmes, à quelques rares exceptions près sans doute de grands presbytes ou myopes de la pensée de l'autre sexe. Aussi j'aimerais que tous les nyctalopes du sentiment du "genre adverse" se lèvent, qu'ils osent annoncer qu'ils ont percé à jour les mystères de la pensée de l'autre sexe !
Nyctalope, au cas où : nom, du grec "nux, nuktos", nuit et "ôps", vue / Personne susceptible de distinguer les objets sous une faible lumière ou pendant la nuit (et c'est pas parce que cette personne est susceptible que c'est forcément une femme, hein ?). adj : la chouette et le hibou sont des oiseaux nyctalopes. Merci Petit Robert.
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